Les vins de Patagonie. Dans les années 1960, Chandon implanta en Argentine sa première filiale outre-Atlantique en achetant quatre cents hectares en Patagonie dans l’île de Choele Choel du Río Negro, pour y planter quarante hectares de vignobles. Puis il se retira vers Agrelo non pour des raisons techniques, mais parce que la région de Mendoza offrait de meilleures conditions. Mais l’histoire du vin en Patagonie commence bien avant celle de ce nouveau conquérant.
Les vins des terres froides : Alto Valle de Río Negro
L’introduction de la vigne en Patagonie fut l’œuvre d’un ingénieur de la Province de San Juan, Hilarion Furque, à la fin du XIXe siècle. Furque planta des vignes de cépages criolla grande et chica, folle blanche, sémillon, cabernet-sauvignon et malbec. En 1913, un autre ingénieur, Humberto Canale (famille argentine propriétaire d’une importante biscuiterie) acheta des terres à General Roca et y planta du cabernet-sauvignon, du malbec, du merlot, du chenin, du riesling et du sémillon. Peu après, il créa un domaine que quatre générations successives ont agrandi et perfectionné. Son directeur et actuel propriétaire, Guillermo Barzi, lança en 1967 le label « Vins des terres froides » mais sa tentative de mobilisation des producteurs et du gouvernement provincial échoua. Seul Humberto Canale survécut à la débâcle de la viticulture de la Province de Río Negro dans les années 1970, lorsque des centaines d’exploitations et des milliers d’hectares de vignobles disparurent, incapables de rivaliser avec la région du Cuyo, plus rentable et plus influente. Tous les producteurs patagoniens sont d’une manière ou d’une autre tributaires de Canale : certains ont engagé ses œnologues, d’autres ont découvert le terroir grâce à cette famille pionnière, et tous ont bénéficié de sa grande expérience vinicole.
Dans la Haute Vallée de Río Negro, certaines productions assurent la différence : la cave Estepa réalise actuellement une intéressante expérience de culture sur le plateau encore vierge, et son malbec Estepa Mística exprime tout particulièrement la force rustique de ce terroir. Infinitus, le domaine satellite de l’entreprise française Fabre-Montmayou de Mendoza, élabore un merlot très intéressant. Dans une gamme de prix plus élevés et à moindre échelle, la petite cave Noemía, installée dans le Valle Azul (la Vallée Bleue) par la winemaker italienne Noemi Marone Cinzano et son époux l’œnologue Hans Vinding Diers, présente des malbecs exceptionnels, vinifiés à partir des plus anciens vignobles de la région. Même réussite avec les pinots noirs de la cave voisine Chacra, du winemaker italien Piero Incisa de la Rocchetta : vieux vignobles et production à petite échelle, tout en élégance, sont à l’origine des meilleurs (ainsi que des plus chers et des plus difficiles à trouver) pinots noirs d’Argentine.
Les vins de Neuquén, le terroir du vent
La viticulture de la Province de Neuquén a toujours été plus modeste que celle de Río Negro. Mais en ce début de XXIe siècle, les choses ont changé avec la plantation de plus de 1 500 hectares de terres vierges entre San Patricio del Chañar et Añelo, zones vinicoles où il existe déjà une demi-douzaine de nouvelles caves high tech. Dans cette nouvelle région, les productions des caves NQN et Familia Schroeder se distinguent. Chacune possède en plus un restaurant de bonne qualité (voir notre sélection). Lors de la vendange 2005, ces deux Maisons se singularisèrent grâce à leurs cabernet-sauvignons Malma et Familia Schroeder : avec un élevage en fût de chêne plus prononcé pour ce dernier, ils sont vinifiés à partir de raisins de première qualité qui leur donnent une grande force de caractère et beaucoup d’élégance. À un autre niveau, les vins de cépages Newen et Postales del Fin del Mundo de la Bodega del Fin del Mundo, pionnière et inspiratrice de ces formidables investissements viticoles, sont de très bonne qualité. Très consistant et intéressant dès les premières vendanges, le Valle Perdido Malbec 2006 de cette cave-hôtel-spa est un vin au nez prononcé de chêne toasté, au corps généreux et à l’acidité bien présente, avec un long final et il laisse un souvenir inoubliable.
Extrême Patagonie
La production vinicole patagonienne ne s’arrête pas à l’Alto Valle de Río Negro et à Añelo. La cave de Patagonia Wines, presque expérimentale, implantée par Weinert à Hoyo del Epuyén, Province de Chubut, est la plus australe du pays et du continent américain. De fait, la viticulture patagonienne pourrait s’étendre, avec des cépages blancs résistant au froid, jusqu’au bord du lac Buenos Aires à Santa Cruz : ces vins seraient alors les plus australs de la planète puisqu’ils laisseraient plus au nord ceux d’Otago en Nouvelle-Zélande. Mais il n’est pas nécessaire d’aller si bas. 39° de latitude suffisent : malgré les terribles gelées tardives et précoces, Río Negro et Neuquén sont des terres chaudes… plus fraîches que celles du nord. Elles constituent un bon terroir aussi bien pour des cépages blancs que rouges, comme le pinot et le merlot. Le malbec et le cabernet s´y prêtent aussi très bien, mais avec des risques de gelées avant la vendange.
Patricia Courcoux Lepic