Aux États-Unis, tout est plus grand. Les fraises qui décorent les énormes cheese-cakes, les succès au cinéma, les empires des nouvelles technologies… Un écrivain que j’interrogeais en 2001, quelques mois après le 11 septembre, me répondit très justement : « Ici tout est plus grand, même nos tragédies sont démesurées… Comme s’il fallait toujours que l’homme apparaisse petit ! ». Pas question de tragédies ici, mais d’une fantastique réussite dans l’univers du vin : celle de Jess Jackson, fondateur des vins Kendall-Jackson.
De passage à Saint-Émilion pour 24 heures, pour les dégustations des primeurs 2007, Jess Jackson m’accueille chez lui à Château Lassègue. Jess partage sa passion du vin avec celle des courses de chevaux. Il est très heureux ce matin, car hier l’un de ses chevaux a gagné une importante course à Dubaï, et a été nommé meilleur cheval du monde. Il me fait revivre en direct la course avec lui sur son ordinateur portable. Son enthousiasme est celui d’un enfant: trop content. Une bonne raison pour goûter un verre de Château Lassègue 2006. Pourtant habitué à recevoir depuis des années des prix, aussi bien pour ses vins que pour ses chevaux, Jess ne cesse de s’émerveiller à chaque nouvelle récompense : « Nous avons célébré 25 ans de vendanges en 2007, je n’en reviens toujours pas… ».
Nous sommes en 1970 à San Francisco, Jess est un avocat reconnu, spécialisé dans le droit des propriétés et des terres. Il réécrira d’ailleurs certaines sections du code civil de Californie. Quelques années plus tard, il achète avec sa famille 80 hectares de terres à Lakeport dans le comté de Lake, qu’ils transformeront en vignes. Pendant sept ans, ils vendront les raisins aux wineries locales. En 1981, le marché semblant favorable, Jess décide de faire son propre vin. Ne pensant pas encore à laisser tomber son métier d’avocat pour celui de vigneron, Jess commence tout de même à se poser des questions et à être fasciné par l'industrie du vin.
La première bouteille avec le label Kendall-Jackson verra le jour en 1982 avec l’appellation Chardonnay. Un an plus tard, ce vin jamais présenté gagne le prestigieux Platinium Award de l’American Wine Competition. Cette première récompense suffira à décider Jess Jackson de quitter son métier d’avocat pour se consacrer entièrement au développement de ses vins. Les vignobles Kendall Jackson, qui s’étendent aujourd’hui sur plus de 12 000 hectares le long des côtes californiennes du nord de San Francisco au sud de Los Angeles, sont toujours la propriété de la famille Jackson qui y travaille à plein temps.
« Lorsque nous avons décidé de nous consacrer entièrement aux vins, je n’avais qu’une idée en tête, celle de créer des vins extraordinaires provenant des meilleurs vignobles californiens. » Depuis une dizaine d’années, les vins Kendall-Jackson ont gagné plus de médailles d’or, d’argent et de bronze qu’aucun autre vignoble américain si l’on en croit la liste évoquée dans le California Wine Winners Book. Celle des meilleurs restaurants de l’année, publiée dans le Wine and Spirit Magazine en avril 2006, place Kendall-Jackson tout en haut, comme meilleur wine-restaurant des États-Unis.
Les différents vins produits par cette entreprise familiale sont impressionnants, tout comme le sont les récompenses citées plus haut. Et pourtant, Jess ne semble pas, lui, impressionné par tant de succès. À 77 ans, il continue de perfectionner ses vins, en fabriquant lui-même ses fûts de chêne en France par exemple. C’est justement à Saint-Émilion qu’il a acheté Château Lassègue il y a quelques années, avec son ami le vigneron Pierre Seillan. Pierre qui quitta Bordeaux avec son épouse voici quinze ans, pour suivre Jess en Californie et appliquer aux vins du Nouveau Monde son savoir-faire des vins du vieux continent.
Aujourd’hui, les vins Kendell-Jackson sont connus et reconnus partout aux Etats-Unis. Le pari de Jess de transmettre aux Américains une nouvelle approche du vin semble être gagné : « Le vin fait partie de notre héritage, il est le partenaire traditionnel des repas, il est là pour fêter les amis, la famille et l’amour, les meilleures choses de la vie ». Et Jess, c’est bien cela : la puissance de la vie, un homme qui parle avec une passion si forte que tout semble possible. Cette réussite me semble soudain à taille humaine, accessible… Son Amérique paraît plus petite après ces quelques heures passées avec lui. Jess lui-même ne me semble plus si imposant… « Il faut venir nous rendre visite en Californie à Santa Rosa, Patricia, je vous ferai visiter nos propriétés et nos vignobles… en hélicoptère. » Et les raisins sur les pieds de vigne, ils sont comme les fraises sur les cheese-cakes, gros comme des prunes ? …Aux États-Unis, tout est plus grand.
Patricia Courcoux Lepic