Direction Beaune pour deux jours. Deux jours d’immersion totale dans le monde envoutant des vignerons de Bourgogne. Les pancartes aux noms alléchants annoncent l’arrivée au cœur des grands crus bourguignons. Afin de pouvoir vous raconter au mieux la particularité de cette vente aux enchères unique au monde, il nous a semblé que le meilleur moyen était d’en faire l’expérience nous-mêmes : nous y préparer, nous y rendre et enchérir en espérant acquérir quelques bouteilles ! Ceci afin de vous donner les bonnes clés pour vous permettre d’ouvrir ces portes dont l’accès était réservé, voici encore quelques années, uniquement aux professionnels.
Voici l’histoire de la plus grande vente de charité au monde, dont les enchères sont un peu le baromètre du marché des vins de Bourgogne, l’aspect caritatif de cette vente étant aussi une très belle occasion de célébrer ces vins. Pendant trois jours, dans toute la ville, des toits polychromes de l’Hôtel-Dieu en passant par le château du Clos de Vougeot, des dégustations et confréries se succèdent dès que résonnent les premiers coups de marteau des commissaires-priseurs de Christie’s.
De bien précieuses donations
Faisons quelques sauts en arrière afin de comprendre l’origine de cette tradition en quelques chiffres et dates importants. Nous sommes en 1443, dans un contexte de misère et de famine. Nicolas Rolin – alors chancelier du duc de Bourgogne Philippe le Bon – et son épouse Guigone de Salins décident de fonder l’Hôtel-Dieu afin de venir en aide aux « pauvres malades ». C’est ainsi que grâce à eux, depuis le XVe siècle, des hommes et des femmes lèguent leurs biens aux Hospices de Beaune. Bien naturellement en Bourgogne, ces donations se sont faites aussi en vignes, nul autre bien n'y étant plus précieux. C’est Jean Plampays et son épouse qui feront, en 1459, le premier don de vignes aux Hospices. Le domaine des Hospices s'est donc construit au fil des années comme un reflet de la générosité des Bourguignons et de la multitude des plus grands terroirs de Bourgogne : le domaine viticole des Hospices s'étend sur 61 hectares de vignes de grande réputation. Tous sont des vignobles de choix car, de chaque donation, les Hospices n'ont conservés que ce qui était digne de leur renommée. Les vignes sont disséminées sur presque toutes les communes de la Côte de Beaune : Aloxe-Corton, Pernand-Vergelesses, Savigny-lès-Beaune, Beaune, Volnay, Pommard, Monthélie, Auxey-Duresses, Meursault et Puligny-Montrachet. Par respect pour ses donateurs, l’ensemble du domaine est conduit avec une exigeante volonté de qualité qui se traduit par des méthodes rigoureuses, soucieuses de la grande diversité des terres de Bourgogne.
Traversons quelques siècles encore : en 1859, pour la première fois, les vins des Hospices sont vendus aux enchères. Pendant de nombreuses années, la vente se déroulera à la bougie, l’adjudication survenant à la fin de la combustion ininterrompue de deux chandelles. La tradition de cette méthode demeure, mais elle s’applique désormais uniquement à quelques pièces (tonneaux). La vente aux enchères a traditionnellement lieu le troisième dimanche de novembre. C'est en 1924 que l'on décida d'une date fixe pour la vente des vins des Hospices qui devait succéder à la Foire Gastronomique de Dijon récemment créée. Aujourd'hui, les évènements sont distincts mais la date a été maintenue.
Une ouverture internationale
Depuis dix ans, c’est la maison Christie’s qui mène les enchères de cette vente unique et lui donne un retentissement international. Désireux en effet d'allier tradition et modernité, les Hospices de Beaune ont confié à Christie's l’organisation des ventes. Forte de son savoir-faire, la célèbre société de vente aux enchères met en œuvre les moyens les plus high tech pour drainer des enchères du monde entier, allant jusqu'à promouvoir les vins des Hospices en Asie (depuis 2010). Dans le même temps, les Hospices proposent de nouvelles cuvées à la vente : le Santenay Christine Friedberg en 2010 et un prestigieux nouveau Grand Cru de la Côte-de-Nuits en 2012 : l'Echezeaux cuvée Jean-Luc Bissey. Des dégustations sont organisées sur toute la planète et l’accès à la vente est ouvert aux particuliers qui peuvent enchérir par internet sous la houlette d’Anthony Hanson, Master of Wine et senior consultant, division internationale des vins pour Christie’s.
Samedi fin de journée, en route pour le château du Clos de Vougeot afin d’assister au dîner spectaculaire du « Chapitre des Trois Glorieuses » de la Confrérie des Chevaliers du Tastevin. Notre table est la table Volnay. La soirée est exceptionnelle : un dîner de Chevaliers saupoudré de traits d’humour, de commentaires et de refrains entonnés par les cadets de Bourgogne. Un dossier entier mériterait d’être consacré à cette Confrérie qui compte seulement 11 000 Chevaliers dans le monde et dont votre humble serviteur fait partie avec une petite fierté !
Une vente accessible à tous
Si les négociants représentent encore la plus grande partie des acheteurs, il semble que le travail de communication commence à faire son chemin depuis quelques années pour expliquer les spécificités de cette vente et permettre aux particuliers de profiter de ces primeurs Bourguignons. Tous ces efforts entrepris par les Hospices et Christie’s démocratisent petit à petit ces enchères très particulières qui peuvent parfois apparaître hermétiques au grand public.
Retour à la vente. La salle des ventes est pleine à craquer. Dehors, plusieurs centaines de curieux, badauds, Bourguignons et amateurs se pressent et s’agglutinent contre les vitres de l’immense halle pour assister comme ils peuvent à l’évènement. Nouveau cette année, un écran géant extérieur a diffusé la vente en direct place des Halles. Une vente assez longue car il faut disperser cinq cent trente-quatre pièces. Les heures passent mais les enchères ne s’essoufflent pas : la bonne parole de Christie’s, qui organise des dégustations dans le monde entier, semble avoir porté ses fruits car des amateurs cosmopolites ont enchéri pour acheter une pièce. La pièce des Présidents, cette année un tonneau de 228 litres de Corton-Bressandes Grand Cru, est présentée au milieu de la vente : les fonds récoltés iront à deux associations caritives extérieures aux Hospices. La vente se terminera tard. Notez ce rendez-vous dans votre agenda pour l’an prochain afin de profiter comme nous de cette expérience et vous permettre d’en être un acteur. Pour, pourquoi pas, comme nous l’avons fait, acquérir une pièce de vin à goûter dans moins de deux ans.
Enchères mode d’emploi
Chaque pièce mise en vente contient un vin « en primeur », donc issu de la récolte de l’année. La vente est organisée par cuvées : chacun des vins proposés provient d’une même parcelle de vigne. Cette année compte quarante-sept cuvées, trente-trois de rouges et quatorze de blancs ; cinq cent trente-quatre pièces seront proposées à la vente, quatre cent dix-sept de rouges et cent dix-sept de blancs. Chacune porte le nom du vin ou du village d’appellation et du donateur historique (Beaune 1er cru Cuvée Nicolas Rolin par exemple). Les vins des Hospices ne sont donc pas vendus en bouteilles mais en tonneaux appelés « pièces », unité de mesure de la vente. Une pièce contient 228 litres de vin, soit quelque deux cent quatre-vingt-huit bouteilles. D’où la bonne idée de mutualiser ses achats en se regroupant en famille ou entre amis, ou même en groupe sans se connaître. Imaginons que vous venez d’acheter six bouteilles. Après la vente vient « l’élevage » : fin novembre, votre vin sera transféré de la cuverie des Hospices aux caves d’un négociant-éleveur, où la longue phase d’élevage commencera. Il faudra quatorze à seize mois pour le conduire à son apogée, avant sa mise en bouteille mi-2016. Viendra alors l’heure de personnaliser votre étiquette et de recevoir enfin vos bouteilles à domicile. Elles seront livrées en caisses en bois de six bouteilles. Même la caisse peut afficher votre logo si vous le souhaitez, une option que certains négociants proposent. Il ne vous restera plus alors qu’à boire le vin bien mérité.
Patricia Courcoux Lepic