Lors de notre dernière rencontre avec Caroline Frey, nous vous avions présenté le Château La Lagune, troisième Grand Cru Classé de Bordeaux, qu’elle dirige avec excellence. Aujourd’hui, c’est la Maison Paul Jaboulet Aîné et son prestigieux vin La Chapelle que nous aimerions vous faire découvrir.
Retour sur le parcours hors du commun de cette fille que l’on aimerait tant avoir comme bonne copine. Toujours en quête d’excellence, la jeune œnologue franco-suisse dirige deux domaines d’exception en France. Elégante et souriante, Caroline Frey me donne rendez-vous dans un bar à vin choisi de Paris. Née à Reims en Champagne, Caroline Frey s’est fait connaître en 2004 lorsqu’elle reçoit, à seulement vingt-quatre ans, les clés du Château La Lagune. Elle raconte volontiers que ce cadeau était tout de même un peu empoisonné dans le milieu assez machiste et très fermé qu’est le vignoble bordelais : « J’accumule alors trois défauts : je suis une femme, jeune et fille du propriétaire ! », raconte-t-elle sans complexe.
Racheté quatre ans plus tôt par son père Jean-Jacques Frey, un riche homme d’affaires français, le domaine du Haut-Médoc est alors en perte de vitesse. Un grand défi attend la jeune diplômée d’œnologie : redonner le prestige d’antan au domaine, classé troisième Grand Cru dans la classification officielle de 1855. Même scénario en 2006 lorsque son père acquiert les domaines Paul Jaboulet Aîné dans la vallée du Rhône et dont le fleuron, La Chapelle Hermitage 1961, a été désigné comme l’un des meilleurs vins du siècle par le magazine Wine Spectator et noté plus de vingt fois 100/100 par Robert Parker ! Le défi semble encore plus grand. Douze bouteilles de ce millésime sont même vendues, en 2007 lors d’une vente aux enchères chez Christie’s à Genève, plus de 173 000 euros. Caroline redonne rapidement un nouveau souffle à ce domaine mythique situé à Tain-l’Hermitage, qui végétait depuis quelques années. La célèbre maison de négoce Jaboulet Aîné, ce sont quatre-vingt hectares supplémentaires à gérer, dans le Rhône septentrional, avec un portefeuille de vins connus dans le monde entier comme la cuvée d’Hermitage La Chapelle, donc. Les appellations comme Crozes-Hermitage, Condrieu, Côte Rôtie ou Châteauneuf-du-Pape n’ont plus aucun secret pour Caroline qui, pas intimidée du tout et toujours en équipe avec Denis Dubourdieu, a su s’adapter très rapidement à ces nouveaux terroirs si diversifiés. Comme pour les vins de La lagune, la philosophie reste la même : mettre dans la bouteille ce qu’il y a de meilleur.
Une aventurière du XXIe siècle
Un pied dans le Rhône et l'autre à Bordeaux, Caroline Frey dirige ces deux propriétés d’une main de maître. Elle s'est battue aux côtés des défenseurs de la colline de l'Hermitage, dans la Drôme, pour empêcher la construction d'une antenne qui a bien failli endommager le site. Au-delà de ce combat pour lequel elle a remué ciel et terre, Caroline peut aussi se targuer de belles réussites viticoles dans la vallée du Rhône, et d'une vision qui dépasse largement le millésime à venir. Toujours à la recherche de l’excellence, elle choisit par exemple ne pas sortir La Chapelle Hermitage 2008, suite aux intempéries de cette année-là. Une décision difficile qu’elle renouvellera peut-être pour le millésime 2013 de La Lagune, mis à mal par une mauvaise météo. Caroline Frey parcourt près de 1 500km par semaine en voiture entre ses deux domaines, où elle a choisi de travailler dans le respect des règles de la biodynamie. « Aujourd'hui, j'ai l'expérience de mes terroirs, de mes vins, et j'ai une idée plus précise et personnelle de ce que je veux faire. Par exemple, la démarche biodynamique, que nous avons entamée en 2006, relève de ma propre initiative » précise Caroline.
Une aventurière du XXIe siècle qui aurait pu vivre à l’époque où seuls les chevaux permettaient de traverser les régions françaises. Dans une vie précédente, Caroline fut une cavalière émérite, membre de l’équipe de France junior d’équitation. Elle aurait ainsi pu jumeler sa passion des chevaux et celle du vin, rejoindre les rives de la Gironde à cheval et repartir vers celles du Rhône la selle chargée de flacons du Haut-Médoc. Une flibustière du XXIe siècle, dont l’objectif aujourd’hui est de pouvoir maintenir un parfait équilibre entre des vins d’excellence et leurs terroirs, de viser le haut de gamme en y limitant les rendements, de faire un travail de haute couture pour un raisin de très haute qualité.
Domaine Jaboulet Aîné
La Maison Paul Jaboulet Aîné, c’est l’histoire d’une rencontre magique : celle d’un terroir généreux sur une colline en bordure du Rhône, et d’une famille passionnée par la vigne. En 1834, lorsqu’Antoine Jaboulet s’installe à Tain-l’Hermitage pour élaborer des grands vins, il ne voit l’avenir de son métier que dans le travail de la vigne et la qualité des terroirs. C’est dans cette idée qu’il acquiert rapidement ses premières parcelles sur les coteaux de l’Hermitage et dans les plaines de Crozes-Hermitage. Les six générations qui lui ont succédé, dont ses fils Paul et Henry et, plus tard, l’illustre Gérard, ont eu cette même approche. Au fil des années, les Domaines Paul Jaboulet Aîné deviennent ainsi propriétaires des plus belles appellations de la Vallée du Rhône septentrionale : Hermitage et Crozes-Hermitage bien sûr, mais également Saint-Joseph, Cornas, Saint-Péray. La famille Frey, établie de longue date en Champagne et propriétaire du Château La Lagune à Bordeaux, reprend la Maison Paul Jaboulet Aîné en 2006. Caroline travaille avec ses équipes dans un souci absolu de la perfection qui pousse à croire que les plus beaux millésimes sont encore à venir, grâce à une conduite minutieuse de la vigne sur des terroirs d’exception et à une vinification pointue. Des acquisitions sur les appellations de Côte Rôtie, Condrieu et Châteauneuf-du-Pape s’inscrivent dans la démarche historique de la Maison Jaboulet. Sous son impulsion, le vignoble reçoit une qualification Agriculture Raisonnée en 2006 et la viticulture s’oriente progressivement mais sûrement vers la biodynamie. Chaque parcelle, aussi pentue soit-elle, est désormais labourée à cheval, au treuil, au motoculteur ou à la pioche. Les racines vont ainsi puiser au plus profond de la roche. Les rendements sont rigoureusement contrôlés et chaque détail fait l’objet d’un soin particulier. Après quelques années de douce transition pour la vigne et pour les hommes, le vignoble est en conversion « viticulture biologique » depuis 2013. La certification est donc attendue pour 2015.
Le fleuron de la Maison est depuis toujours le mythique La Chapelle Hermitage, un grand vin rouge pur syrah qui doit son nom à la fameuse petite chapelle Saint-Christophe dominant les vignobles de l’Hermitage. La Chapelle, dont Paul Jaboulet Aîné est l’unique propriétaire depuis 1919, provient d’un assemblage des meilleurs terroirs de l’appellation. La Chapelle Hermitage 1961, classé parmi les douze plus grands vins du XXe siècle, représente le troisième record mondial enregistré par Christie’s pour une vente de douze flacons.
Patricia Courcoux Lepic