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Je vous souhaite de très beaux voyages de lectures.

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Avant de devenir le grand musée monographique dédié au peintre Pablo Picasso, l’hôtel Salé connut une histoire hors du commun. Il s’agit probablement du plus grand, du plus majestueux voire du plus extravagant des grands hôtels parisiens du XVIIe siècle. Jusqu’à son affectation au musée Picasso, il fut très peu habité et presque uniquement loué à différents particuliers, hôtes de prestige ou institutions.

 Un sobriquet qui convient

La société parisienne du milieu du XVIIe siècle donnait des surnoms aux hôtels nouvellement construits. Le peuple n’aimait évidemment pas ceux qui bâtissaient des demeures somptueuses avec l’argent des contribuables : lorsque Pierre Aubert, le percepteur de la gabelle (l’impôt sur le sel perçu au nom du roi), construisit la sienne, il lui fut donné immédiatement le sobriquet très explicite de hôtel « Salé ». Le plus étonnant est que ce nom demeurera de manière officielle !

L’immense bâtisse qui domine encore aujourd’hui ce quartier du Marais subsiste intact au carrefour de trois rues. Son éloignement du centre vivant de la ville de l’époque le sauva sans doute, depuis, des promoteurs immobiliers mal intentionnés. Aujourd’hui encore, lorsque l’on arrive depuis la rue de Thorigny ou Vieille-du-Temple, son aspect surprend. Bien plus qu’à un hôtel, ses proportions, sa silhouette et son environnement dégagé font penser à un château.

On ne saurait cependant comprendre l’histoire de cet hôtel sans le situer dans la société qui l’a vu naître. Il correspondait de toute évidence à un idéal social de l’époque et à l’apogée éphémère d’un grand argentier saisi par la folie des grandeurs. Pierre Aubert, le futur propriétaire de l’hôtel Salé, n’est autre qu’un bourgeois gentilhomme, protégé de Fouquet cherchant à faire valoir sa récente ascension sociale. Il fait fortune dans les années 1630-1640 grâce à diverses manœuvres, dont un riche mariage et l’achat successif de plusieurs boutiques. Il est un financier important de la place parisienne, à la fois conseiller et secrétaire du roi. Le 16 mai 1656, il achète pour 40 000 livres aux religieuses de Saint-Anastase un terrain de 3700 mètres carrés situé au nord de la rue de la Perle. Et tandis que Nicolas Fouquet fait construire son château royal de Vaux-le-Vicomte, Pierre Aubert fait élever en trois ans, par le jeune architecte Jean de Boullier, son hôtel particulier dans ce quartier nouvellement résidentiel de Paris.

L’hôtel passera ensuite de main en main, et sera surtout occupé par des locataires car bien peu de propriétaires ont les moyens d’y résider. C’est d’ailleurs grâce à ces locataires qu’il eut ses rares heures de gloire dans un quartier de Paris qui devint rapidement démodé.

 Une architecture typiquement Mazarine

Le baroque italien, introduit par le cardinal Mazarin, est en vogue et entraîne les architectes à imaginer de nouveaux volumes qu’ils combinent avec l’héritage de François Mansart. L’hôtel Salé comporte un corps de logis double ainsi qu’une double enfilade de pièces qui permettent l’expansion de la surface. Son plan est dissymétrique : la façade sur la cour est partagée en deux par une aile perpendiculaire qui sépare la cour d’honneur de la « basse cour ». La cour dessine une courbe tendue qui dynamise la façade. Cette dernière est rythmée par sept travées d’ouverture qui mettent en valeur l’avant-corps central sur trois niveaux.

Le grand escalier d’honneur est certainement le chef d’œuvre de la demeure et a été entièrement restauré depuis sa première construction ; son décor sculpté a été confié aux frères Gaspard et Balthazar Marsy et à Martin Desjardins. Il reprend le système de l’escalier de Michel-Ange à la Bibliothèque Laurentienne de Florence : pas de cage fermée mais deux volées de marches impériales, surplombées d’un balcon en saillie puis d’une galerie. Multipliant ainsi les effets de perspective comme les vues plongeantes, cet escalier est une véritable salle de spectacle. L’effet pourrait s’arrêter là, le vestibule haut pourrait s’inscrire au-dessus du vestibule bas, mais l’artiste a voulu aller plus loin. Certains escaliers ont été peints en trompe-l’œil pour simuler des spectateurs accoudés au premier étage. Rarement pareil effet a été obtenu avec un tel bonheur.

De prestigieux locataires

Revenons à Pierre Aubert, qui ne passera hélas pas beaucoup de temps dans cette splendide demeure : quatre ans plus tard en 1663, il chute avec Fouquet. Après sa ruine, le fastueux hôtel est l’objet de toutes les convoitises de nombreux créanciers. La procédure judiciaire durera soixante ans. Pendant ce temps, il sera loué par le roi de Venise pour y héberger son ambassade, puis sera vendu en 1728. En 1790, l’hôtel Salé est placé sous séquestre et pendant la Révolution il sert de dépôt national littéraire permettant de stocker et d’inventorier les livres découverts dans les couvents du quartier. Il sera ensuite vendu en 1797 et restera dans les mains des mêmes propriétaires jusqu’en 1962. Pendant cette longue période, il est tout de même loué à diverses institutions comme la pension Ganser et Beuzelin, fréquentée par Balzac, et l’École Centrale des Arts et Manufactures qui modifiera considérablement l’agencement intérieur du bâtiment.

Enfin, à partir de 1944, c’est l’École des Métiers d’Art de la Ville de Paris qui en devient locataire. La Ville de Paris achètera l’hôtel en 1964 pour 200 000 nouveaux francs, dans le but de le restaurer et peut-être de l’affecter à un musée municipal comme celui du costume. L’hôtel Salé est classé Monument Historique le 29 octobre 1968. Malheureusement, avec le passage de ses différents occupants, rien ne reste de ses aménagements d’origine. La Ville de Paris, heureuse propriétaire, y accueille l’Etat français par bail emphytéotique, comme pour se plier au destin du lieu : en faisant un calcul précis, on s’aperçoit qu’au long de ses trois cent vingt-six années d’existence, l’hôtel Salé n’a été occupé par ses propriétaires que pendant quarante-huit ans ! C’est peu.

Le musée Picasso

Au cours de sa vie, Picasso a toujours recherché des bâtisses, des maisons, des villas, des châteaux les plus atypiques ou extravagants possibles pour en faire le théâtre de ses ateliers. Aussi, le choix de l’hôtel Aubert de Fontenay dit l’hôtel Salé dans le quartier du Marais à Paris, s’imposa facilement. Il fallait en effet un lieu patrimonial emblématique, au caractère à la fois noble et singulier, pour présenter au public du monde entier cette collection unique.

C’est donc en accord avec les héritiers de l’artiste que le choix d’installer la dation Picasso dans l’hôtel Salé se fait en 1974, un an après la mort de l’artiste. La succession de Pablo Picasso a été préparée, notamment par l’invention du mécanisme de la dation en paiement à la fin des années 1960, rendue urgente par le vieillissement de l’artiste. Ce processus permet à l’État d’acquérir un ensemble exceptionnel d’œuvres de Picasso encore enrichi par les donations des héritiers, mais implique de trouver un lieu pour les conserver et les exposer. En accord donc avec la famille de l’artiste, Michel Guy, secrétaire d’État à la Culture de l’époque, décide d’installer la collection dans l’hôtel Salé, rue de Thorigny dans le troisième arrondissement de Paris.

Un bail de quatre vingt dix-neuf ans est conclu en 1981 entre l’Etat et la Ville de Paris pour un loyer symbolique, mais à charge pour l’Etat d’y réaliser les importants travaux de rénovation qui s’imposent et de pourvoir à l’entretien du bâtiment tout comme au fonctionnement du futur musée. L’ampleur des travaux représente un véritable obstacle : il faut démolir les constructions annexes, déblayer des tonnes de résidus et durant toutes ces années d’inoccupation (depuis le départ des Métiers d’Art en 1970), l’hôtel a continué de se dégrader et de perdre les quelques éléments de décor subsistant encore à l’intérieur. Dès 1974, les Monuments Historiques entament ces travaux de restauration. Il est surtout question de créer un contraste architectural entre le tout nouveau Centre Pompidou, lieu voisin chargé d’abriter l’art du XXe siècle (et également dépositaire d’œuvres de Picasso) et ce lieu patrimonial monographique de l’ancien hôtel Salé. L’art de Picasso doit ainsi rayonner dans les différents espaces de présentation de l’art du XXe siècle, de l’architecture la plus contemporaine aux espaces les plus patrimoniaux.

L’hôtel est restauré et réaménagé entre 1979 et 1985 pour devenir un lieu propre à la conservation et à la présentation des œuvres du peintre. À la suite d’un concours d’idées mettant en lice quatre architectes (Roland Simounet, Carlos Scarpa, Jean Monge et Groupe GAU de Roland Castro), Roland Simounet est désigné en 1976 pour mener à bien la réalisation du projet de musée. Architecte reconnu et expérimenté, Roland Simounet est né en Algérie en 1927 et y travaille jusqu’en 1964 après un passage par l’École d’architecture du quai Malaquais à Paris. Il conçoit l’aménagement intérieur du musée tout en respectant l’ordonnancement architectural du bâtiment et ses décors de stuc ou de pierre. Il allie ainsi à son expérience d’architecte l’héritage moderniste d’un Le Corbusier et une tradition méditerranéenne qui déjà inspirait ce dernier, et travaille sur l’horizontalité.

À cette remarquable réalisation architecturale s’ajoutent des créations du sculpteur Diego Giacometti qui se voit confier la conception du mobilier et de grands luminaires en bronze patiné ou résine blanche. Enfin, l’oeuvre de l’architecte Roland Simounet a marqué la création muséographique des trente dernières années aussi bien en France qu’à l’étranger.

Renaissance du Musée Picasso

Fin août 2009, le musée ferme afin de bénéficier à nouveau d’un important programme de rénovation. Au terme de ce gigantesque chantier de modernisation, la totalité de l’hôtel Salé est désormais restituée au public et à la présentation des œuvres depuis le 25 octobre dernier, date anniversaire de la naissance de Pablo Picasso. La surface d’exposition a triplé, un auditorium de 95 places a été aménagé ainsi que tous les services indispensables à l’accueil du public d’un grand musée national. Le grand escalier, les salles historiques et leurs boiseries, les corniches et décors sculptés, la cour d’honneur, la terrasse des communs ont retrouvé leur place et leur qualité d’origine, grâce à une restauration menée par l’architecte en chef Stéphane Thouin, pendant que l’architecte Jean-François Bodin procédait, lui, au difficile travail de mise aux normes du bâtiment en matière de sécurité, d’accessibilité et de modernisation technique. Les deux derniers étages de l’hôtel ont également été transformés en salles d’exposition, et le paysagiste Eric Dhont a conçu un nouveau jardin pour le musée.

Depuis le 25 octobre 2014, il est donc possible de découvrir ou de redécouvrir, au cœur du Marais, la remarquable collection du Musée Picasso Paris.

Patricia Courcoux Lepic

 La collection aujourd’hui

5000 œuvres de Picasso au total : 4000 œuvres graphiques, 297 peintures, 307 sculptures, dont la collection particulière de Picasso : 46 peintures d’artistes dont les plus représentés sont Matisse, Renoir et Cézanne. 20 sculptures ethnographiques, 64 œuvres graphiques. 200 000 pièces d’archives. 750m2 de réserves externalisées.

 

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