Bonjour,
Je vous souhaite de très beaux voyages de lectures.

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Robert Mondavi s’est éteint en emportant avec lui tout le poids d’une épopée qui aura marqué une époque dans le monde du vin californien. En effet, ce patriarche symbolisait à lui seul l’origine et la renommée de cette région vitivinicole. Il est difficile aujourd’hui de se souvenir ce qu’était le vin dans le monde avant que ce visionnaire et brillant stratège ne décide de bousculer la commercialisation des vins en introduisant l’étiquetage par cépage plutôt que d’utiliser une appellation générale. Des noms aussi évocateurs que Fumé Blanc rappelaient inévitablement les grands Sauvignon Blancs de Pouilly Fumé et apportaient une touche chic française à sa production, tandis que ses Chardonnays scandalisaient les traditionalistes par l’exubérance de leur saveur tropicale et leurs notes prononcées de chêne sucré.

Avant Mondavi, le vin était compliqué, traditionnel et difficile à prononcer. Mondavi a rendu le vin amusant, il a démontré qu’il était un compagnon indissociable des plaisirs de la table et il a été le pionnier de la labellisation (en nommant tout simplement ses vins comme leur cépage de fabrication), une démarche qui reçut les faveurs de plusieurs nouvelles générations de consommateurs. Bénéficiant des longues journées ensoleillées typiques du Nouveau Monde, ses vins étaient mûrs et riches.

La vie de Robert Mondavi pourrait se lire comme un mélange entre Les Raisins de la Colère et le rêve suprême américain. Fils d’immigrants italiens qui, comme beaucoup de leurs compatriotes, quittèrent la péninsule au tournant du siècle pour venir s’installer dans le Minnesota, son père s’engagea d’abords dans une mine de fer tandis que sa mère gérait une pension. En 1921, le patriarche Cesare décida de déménager la famille à Lodi, l’une des régions pionnières dans la culture de la vigne en Californie, où il s’était vu confié une importante mission : celle d’acheter du raisin pour l'expédier ensuite vers la côte Est pour la fabrication domestique de vin, une pratique devenue rapidement populaire sous la Prohibition. L’affaire prit de l’envol et, dans les années 40, Cesare gagnait suffisamment d’argent comme pour envoyer son fils à l’Université de Standford. C’est également à cette époque qu’il achète le domaine de Charles Krug dans la Napa Valley, dont il assurera la gestion avec ses deux fils, Robert et Peter. Suite à la mort du patriarche, la tension s’accentua entre les deux frères, dont les personnalités étaient diamétralement opposées. Peter était introverti et conservateur, Robert lui était extravagant et ambitieux. C’est le début d’une vraie discorde familiale, qui aboutira en une violente dispute entre les deux frères, suite à laquelle Robert décide de quitter le domaine.

Dès la fin de ses études, Robert Mondavi entreprit plusieurs voyages en Europe, notamment à Bordeaux puis en Bourgogne, et ces lors de ces périples dégustateurs qu’il apprendra à circonscrire ces goûts. Il en arrivera à la conclusion que, pour produire un bon vin, l’hygiène parfaite, la température des cuves et l’utilisation de fûts de chêne français étaient des conditions sine qua none. Le jeune Mondavi continua à élargir son horizon à la mesure de son ambition. Les nombreuses connaissances qu’il fit au cours de ses visites l’accompagneront tout au long de sa carrière et couronneront, en 1979, l’association avec l’entreprise Baron Philippe de Rothschild, qui donna naissance au célèbre domaine Opus One Winery. Ce projet audacieux attira tous les regards du monde du vin et des affaires et marqua un tournant décisif pour les ses vins californiens qui acquièrent très vite une renommée internationale sans précédent.

En 1966, à l’âge de 52 ans, Robert Mondavi engagea un architecte pour construire à Oakville, en plein cœur de la Napa Valley, l’imposant domaine vinicole éponyme que l’on connaît, un vrai monument à l’architecture élancée remémorant les anciennes missions espagnoles. Il s’engagea en même temps dans une bataille judiciaire contre sa famille pour récupérer ses parts du domaine Charles Krug et d’autres excellents vignobles, plus particulièrement celui de To Kalon, réputé pour la haute qualité de ses Cabernets Sauvignons. Le domaine Robert Mondavi fut le premier domaine vinicole d’importance à s’installer dans la région depuis la levée de la Prohibition, un témoignage historique qui perdurera même bien après l’arrivée d’autres investisseurs dans la vallée.

Grâce à sa passion légendaire, son énergie et son enthousiasme et ses voyages au cours desquels il ne cesse de vanter les qualités des vins du Nouveau Monde, il parviendra à placer Napa Valley et toute la Californie sur la carte mondiale des vins. Il était convaincu de la qualité de ses vins et il n’hésitait pas à les mettre à défis dans des dégustations anonymes contre les grands vins du monde entier, permettant aux consommateurs d’en évaluer la qualité et persuadant les professionnels de s’approvisionner de toute sa gamme de vins avant même d’être convaincus de leur valeur.

Comme beaucoup d’autodidactes, Mondavi faisait grand cas du style de vie associé au vin et il fut l’un des précurseurs de l’association du vin et des arts. Au fil des ans, son vignoble d’Oakville se transforma en un point de rencontre incontournable pour les artistes, musiciens, chefs et écrivains, qui furent très rapidement suivis par autant de touristes attirés par ces nouveaux espaces culturels. Avant Robert Mondavi, personne n’avait osé imaginer que le vin pourrait séduire quiconque et l'étonnement fit vite place à l'ébahissement, quand il instaura les visites payantes de ses caves, un centre de visites et une ligne de cadeaux viticoles. Le succès de ce projet le porta à mettre en œuvre l’un de ses plans les plus ambitieux. Au début des années 70, avec sa seconde épouse, Margrit Beaver, il créa le programme des Grands Chefs, dirigés par d'illustres chefs, comme Paul Bocuse, lors desquels étaient dévoilés les secrets du mariage du vin et de la gastronomie. L’accent mis sur le vin en tant que style de vie, de la vie de tous les jours, se cristallisera plus tard en la création d’une « mission », où l’on y prêchait les valeurs des réunions familiales, les avantages culturels et de santé associés à la consommation modérée ainsi que l’importance de l’éducation en matière de vin. Bien que, derrière les coulisses, sa propre vie privée fût plutôt tumultueuse et constamment marquée de chicanes familiales, il était de mise, au nom des relations publiques et de la publicité, de fermer l’œil sur certains sujets contrariants.

Parmi ses nombreuses et prestigieuses initiatives, la fondation des Enchères de Vin de Napa Valley lui fit prendre un envol considérable, en se ralliant un nouveau public de consommateurs aisés et millionnaires de la Silicon Valley, amateurs des plaisirs du vin et de la gastronomie. Opus One battu un record mondial lors de la première vente aux enchères organisée en 1981, quand une caisse de vin de sa première cuvée atteint la somme de 24 000 U$. Mais tout n’allait pas de si bon train dans l’Empire Mondavi et vers le début des années 90 il décida qu’il était temps de changer de cap dans son vignoble.

À la recherche de nouveaux capitaux, il opta pour transformer l’affaire familiale en société anonyme par actions et en délégua l’administration à deux de ses fils, Tim et Michael. Son entêtement à ne pas vouloir céder l’administration journalière du vignoble à ce nouveau duo énergique finira par raviver les tensions au sein de la famille. À cette même période, il s’engagea dans un programme d’expansion internationale très ambitieux, qui se complétera par la création d’une société conjointe avec Frescobaldi en Italie, Concha y Toro au Chili et Rosemount en Australie et qui marquera la fin de l’empire familiale. Le revers économique provoqué par les attentats terroristes du 11 septembre, firent sombrer la compagnie. Elle fut finalement rachetée en 2004, pour une somme dépassant les 100 billions de dollars, par Constellation Brands, une entreprise multinationale spécialisée dans le vin haut de gamme.

Les dernières années de Robert Mondavi furent marquées par les remords et le chagrin. Il avait créé et perdu la plus grande marque de vin de l’histoire, bien qu’il se consacrât tout au long du chemin à multiplier les initiatives et les institutions culturelles pour encourager l’union entre le vin et la gastronomie, la santé et l’éducation. Ses dons considérables à l’Université de Californie, au Centre Américain pour le Vin, la Cuisine et les Arts et autant d’autres contributions de taille, étaient légendaires. Il a influencé la vie de tant de personnes dans le monde du vin qu’il n’y a pas aujourd’hui un chef, un producteur, un importateur ou un critique de vin qui ne puisse vous raconter une anecdote sur cet homme. Mais c’est avant tout son enthousiasme pour le bon vin, partagé lors d’un bon repas qui aura marqué tous ceux qui ont eu la chance de croiser son chemin.

Patricia Courcoux Lepic

 

 

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