Maker’s Mark: La plus ancienne distillerie de bourbon des États-Unis. Classée National Historic Landmark en 1980, elle est la première distillerie reconnue au titre du patrimoine national. Embarquement pour le Kentucky. Nous ne sommes ni tout à fait dans le Midwest ni tout à fait dans le Deep South : l’État du Kentucky se trouve à un carrefour géographique et culturel qui combine la convivialité du Sud, l’héritage historique de la conquête de l’Ouest et le charme élégant de la côte Est. L’État du bourbon est également réputé pour avoir les meilleurs élevages de chevaux du pays. Le comté de Bourbon, au nord de Lexington, est le berceau du whisky américain. C’est ici que cette boisson est distillée, vieillie et mise en bouteille depuis 1789 : vive la révolution ! Aucune autre région n’est autorisée à utiliser ce nom, et 90 % du bourbon est produit dans le comté du Kentucky.
Sur les terres d’Abraham Lincoln... Nous sommes au XVIIe siècle dans un État qui accueille les premiers colons, sur une terre totalement vierge et surtout inconnue. Ces colons trouvant que les terres sont propices à la culture, qu’il y a peu d’indiens et de bonnes ressources naturelles, ils s’y installent. Pendant la guerre de Sécession et malgré une neutralité affirmée, le Kentucky sera le terrain d’importants affrontements entre les troupes de l’Union et celles de la Confédération. En juin 1792, le Kentucky, jusqu’alors rattaché à la Virginie, devient un État indépendant, le 15e à rejoindre l’Union et le premier à l’Ouest des Appalaches. Reste que sa situation n’est pas vraiment au Nord ni vraiment rattachée au Sud, et si l’esclavage a tout de même été présent, il le fut moins que dans le Sud profond car la culture du coton y était faible. Voilà pour le tableau général. Est-il nécessaire de rappeler que le Kentucky fut la terre natale d’Abraham Lincoln et de Jefferson Davis ? Au cas où, je le précise quand même, surtout pour ceux d’entre vous qui pensent encore que Kentucky ne rime qu’avec Fried Chicken ! Plus sérieusement, cette ancienne réserve de chasse des Cherokee et des Iroquois est aussi connue dans le monde entier grâce à la ville de Lexington qui, avec ses 450 élevages de chevaux, se présente comme la « Horse Capital of the World ». Et Louisville accueille chaque premier samedi de mai le célèbre Kentucky Derby.
... Et de la Prohibition. Descendons de cheval et regagnons la distillerie de la famille Samuels. Mais restons en 1780, date à laquelle Robert Samuels, immigrant irlando-écossais, débarque dans le Kentucky et décide d’y produire son propre whisky. Il bâtit une première distillerie près de la ferme familiale. Mais, le 20 octobre 1919, Le Sénat des États-Unis fait voter la loi sur la prohibition, proscrivant la vente et la consommation de « boissons enivrantes » sur tout le territoire de l’Union. Robert Samuels doit fermer la distillerie. 1934, fin de la prohibition. Les distilleries américaines rouvrent à toute vitesse, produisant un whisky trop jeune et plutôt mauvais. La majorité des bourbons étaient encore considérés comme bruts, rudes et agressifs au palais. « Voilà donc à quoi ressemblait la famille des whiskys » m’explique Bill Samuels Junior. « Mon père n’était pas très heureux de tout cela, les liqueurs importées étaient bien plus sophistiquées et agréables au palais. »
« No turning back now ! »
En 1943, le père de Bill Samuels Jr, Bill Samuels Senior que nous appellerons Senior Bill, décide de fabriquer un bourbon raffiné. Avec un certain sens de la théâtralité, il met tout simplement le feu à la recette familiale vieille de plus 170 ans devant toute sa famille médusée ! Manquant de justesse de brûler au passage la robe de sa propre fille... Cet épisode romanesque ne fut pas une cérémonie dont il faudra plus tard reparler à table ! Senior Bill, pour fabriquer sa nouvelle recette, expérimente des mélanges de grains en faisant cuire des miches de pain dans son four. Il finira par ajouter du blé d’hiver à la place du seigle, plus corsé. Mais Bill junior m’avoue que « Toutes les expériences n’étaient pas réussies, et nous avons mangé beaucoup de pain sec pendant cette période ! ».
Senior Bill acquiert la distillerie Burk’s Spring à Happy Hollow en 1953 et commence à poursuivre son rêve avec ténacité : fabriquer le meilleur bourbon au monde. À l’automne 1959, la famille Samuels vend son premier bourbon appelé Maker’s Mark, après les six étés de vieillissement nécessaire. La première bouteille contient quatre cinquièmes de pinte et se vend à 6,79 dollars. « La première année, nous avons vendu 250 caisses. La première fut acquise par l’hippodrome Keeneland à Lexington, dans l’État du Kentucky » rappelle Bill Junior. « La société devient rentable en 1967 et mon père me cède les rênes de la maison en 1975 en me disant ‘Et ne bousille pas notre whisky !’. » Quelques années plus tard, les installations de Maker’s Mark sont classées Monument historique national par le ministère américain de l’Intérieur. Cette distinction attire l’attention d’un journaliste du Wall Street Journal qui publie un article le lendemain en couverture. Il n’en faut pas plus pour que la marque gagne en crédibilité immédiatement dans tous les lieux de consommation des grandes villes américaines, bars, restaurants… Pour Maker’s Mark, ce sera aussi le début de 28 années de croissance des ventes à deux chiffres !!!
Assise en face de Bill Samuels Junior dans le salon de la maison familiale, je regarde attentivement les photos qui m’entourent et me prouvent que Jesse James et Frank James, les deux célèbres hors-la-loi américains, ont bien existé, et surtout qu’ils font partie de la famille de Bill. « Il est impossible de choisir ses proches. Et je crains fort que nous soyons liés à Jesse et Frank James ! » sourit Bill Junior. Merci pour la visite, Bill. Je vais quitter les lieux avec l’impression d’avoir fait un voyage en diligence. Le paysage de ces collines parsemées d’étangs est un paradis de verdure. Assise au pied de la véranda, un verre de bourbon à la main, finalement rien ne presse. Je reste encore un peu Bill, c’est ok ?
Secrets de fabrication: Chaque étape de la fabrication d’un lot de Maker’s Mark fait l’objet d’une intervention manuelle. La qualité de Maker’s Mark commence avant tout par celle de l‘eau utilisée. Ici on capte celle d’un lac de 5 hectares, filtrée par le calcaire et surtout non ferrugineuse. Ensuite le grain. Il est sélectionné dans des petites coopératives locales. Il arrive souvent qu’un camion de grains de blé soit refusé car il ne correspond pas aux strictes exigences de qualité de Maker’s Mark. Le grain est ensuite préparé dans un moulin à cylindres à l’ancienne, ainsi il ne chauffe pas. Il est alors mis à cuire dans un cuiseur ouvert, ce qui demande du temps et de la minutie. Le grain Maker’s Mark n’est pas cuit sous pression pour accélérer le processus. La levure ajoutée est celle de la distillerie. La méthode traditionnelle de la levure douce consiste à conserver une petite partie de la culture d’un lot pour lancer le suivant. On peut donc imaginer qu’une partie des cultures de levure utilisées aujourd’hui remontent à l’époque où Jesse James sirotait son bourbon après avoir dévalisé une diligence !
Le « mash » de grain ainsi cuit est placé dans d’immenses cuves de fermentation avec la levure. En fermentant, grains et levure vont transformer leurs sucres naturels en alcool. Ensuite, la distillation sépare les résidus des grains, et l’eau de l’alcool. Vous suivez ? Bon. Distillé deux fois, d’abord dans un alambic à colonne de cuivre, puis dans un alambic à feu direct, le bourbon atteint respectivement 60 à 65 %. Cette double distillation limite la production mais préserve les qualités du maïs, du malt d’orge et du blé d’hiver. L’étape du vieillissement est arrivée. Dans des fûts de chêne. Séchés à l’air pendant neuf mois et carbonisés à l’intérieur, ils offrent une couche rouge, et la carbonisation donne un parfum de caramel. Une fois à l’entrepôt, les fûts de bourbon sont mis à vieillir. Le climat du Kentucky s’avère utile pour que le whisky s’imprègne des parfums des fûts de chêne blanc carbonisés. Voilà, il ne vous reste plus qu’à ôter le bouchon de cire de la célèbre bouteille au col rouge, et de vous asseoir un verre à la main en imaginant que Jesse James est assis là, tout près de vous.
Le célèbre cocktail Mint Julep: Le Mint Julep est devenu le cocktail ultime du nord au sud des États-Unis. Depuis 1939, il est même la boisson officielle du Derby du Kentucky. Aujourd’hui, plus de 100 000 verres sont consommés chaque année durant la semaine précédant cette épreuve équestre, la plus populaire d'Amérique du Nord. La boisson préférée de James Bond dans Goldfinger… Dans un verre à mélange, placez 5 feuilles de menthe fraîche. Broyez les feuilles au pilon. Ajoutez une cuillérée à café de sucre et quelques gouttes d’eau. Remuez jusqu’à ce que le sucre ait fondu. Placez des glaçons dans le verre, puis arrosez-les de 4cl de Maker’s Mark et d’un trait de bitter. Mélangez.
Patricia Courcoux Lepic